(attention, entr�e k�taine)
Je suis entrain de reprendre contact avec la r�alit�, la mienne et un peu de la v�tre. Mon humeur est stable, mon sommeil mesur�, ma nourriture abondante et saine. Je suis de nouveau capable de r�fl�chir et de me rappeller le fruit de mes r�flexions, un fait inusit� depuis quelques ann�es. J'int�gre aussi les rudiments de la vie adulte: se lever tous les jours � la m�me heure, se coucher tous les jours selon le m�me pr�cepte, veuiller � pr�voir mes moyens de locomotion et de sustentation, bien accomplir mon travail, m'adapter � la conversation et aux personnalit�s de mes coll�gues, pr�voir mes d�penses, g�rer mes plaisirs. Les vendredis soirs sont redevenus sp�ciaux.

J'apprend aussi sur mon compte. Je sais que j'ai tendance � �tre excessivement �motive et agressive en situation de conflit; je sais que j'ai de la mis�re � confronter les gens. C'est que j'ai intrins�quement peur des gens, peur de ce qu'ils pourraient me reprocher, peur de leurs perceptions de moi, peur qu'ils puissent faire du mal � ce que je suis au plus profond de mon �me.
Je suis terroris�e par le jugement d'autrui. De fa�on int�ressante et paradoxale, cela m'a � la fois dress�e en bataille contre le conformisme ainsi qu'�touffer dans l'oeuf tout �lan de r�alisation pouvant demander ue suj�tion quelconque � la communaut� et � son verdict.
Ainsi, je ne participe jamais � des concours, suis incapable de m'impliquer dans un quelconque groupe, ne tente jamais de faire publier quoi que ce soit, et fuit la comp�tition � tout prix. L'id�e de n'�tre pas la meilleure me jette dans les affres de la haine de soit.
Il faut dire qu'ayant grandi dans une ville o� le mode de vie et la mentalit� �tait diff�rente du tout au tout de ceux de ma famille, cette difficult� � vivre le jugement d'autrui est compr�hensible.
J'�tais effectivement un �tre mis � part � l'�cole, un individu jug� comme diff�rent, bizzare, innacceptable: j'�tais d�clar�e comme une �trang�re, quelqu'un qui ne valait pas d'�tre consid�rer comme une �gale.
Je me suis donc battue tr�s longtemps pour avoir le droit d'�tre: je me forgeais des amis � force de d�vouement et d'int�r�t r�el, je continuais d'exprimer haut et fort ces id�es et fa�ons de vivre qui �tait les miennes, je ne me laissais pas abattre par toutes ces petites insultes, bousculades et rejets quotidiens.

J'ai appris de cela que de tenter d'imiter les autres, de trahir ses croyances pour une acceptation factice n'�tait pas une solution efficace ou morale. J'ai appris que de suivre pour suivre �tait un comportement incoh�rent, inintelligent et abrutissant. J'ai donc appris � questionner tous les comportements sociaux.
J'ai appris � assumer tout ce que j'�tais, afin de me faire une force de ma fragilit�, une fiert�. J'ai appris que souvent, la sinc�rit� et la franchise �tait le syst�me argumentatif le plus puissant, le plus coh�rent et le plus riche. J'ai appris que de ne jamais faire de compromis sur qui l'on est permettait de trouver les personnes valables bien plus rapidement. Et, par comparaison avec les autres, j'ai acquis une connaissance de moi-m�me qui ne cesse de s'amplifier.

J'ai aussi appris, dans le sens inverse, que de m�priser ce qu'on ne conna�t pas est un comportement d'ignare; qu'il faut toujours donner une seconde chance; que la connaissance et la valeur ontologique peuvent se cacher � ce que l'on croit fondamentalement �loign� de nous.
Je sais que le snobbisme n'est que la peur d�guis�e du dissemblable et de l'inconnu, et que toute forme d'�litisme n'est qu'une d�monstration d'�troitesse d'esprit, de repli �go�ste, de suffisance et d'incapacit� � voir plus loin que sa propre personne. J,ai appris que le snobbisme n'�tait pas un ph�nom�ne r�serv� aux puissants, aux poss�dants, aux cr�ateurs; c'est une habitude crasse r�pandue dans toutes les strates de la soci�t� et du monde. C'est de croire que sa fa�on d'�tre est n�cessairement la meilleure, la plus sup�rieurement accompli. Il y a un snobbisme d'itin�rant tout comme un snobbisme de classe moyenne.
Ainsi, j'ai appris que les gens ne se classent pas par leurs avoirs mat�riels, leurs provenances, leurs int�r�ts, leurs histoires ou leurs coupe de cheveux. J'ai appris pouvoir apprendre autant des artistes chiants de la m�tropole que d'ouvriers industriels, jeunes d�linquants punks, petits bums de banlieues en civic mont�e, pitounes clubbeuses et hippies militants gauchistes.

Et maintenant que j'ai enfin reconnu cette peur que j'ai des gens, cette d�pendance que j'ai de leur jugement favorable � mon �gard, je ressens une tr�s grande paix. La s�r�nit� qui provient d'avoir enfin �t� capable de voir quelque chose en face, sans honte, sans d�robements. La confiance de pouvoir enfin aller de l'avant, passer � autre chose.

Je ne sais pas qu'est-ce que je suis pour vous, je ne sais pas si ce quelque chose indif�ni est plus ou moins qu'une norme de toute fa�on vague et sans tangibilit�, je ne sais pas si je suis meilleure ou pire, je ne sais pas si je fais partie des bons ou des m�chants.
Mais je sais que ce qui compte entre nous, c'est nos v�rit�s respectives, et le d�sir de partager ces v�rit�s.

Je sais que je ne veux pas jouer de jeu, et je sais que quand vous devenez n�faste pour moi, je n'ai qu'� vous retirer votre privil�ge � mon intimit�.
Je sais que je fais des erreurs, mais je sais que quand on me les montre je les regrette sinc�rement. Et je sais que ni moi, ni mon bonheur ne d�pendent de vous en bout de ligne.

Je red�couvre la beaut� radieuse des gens que je c�toie et je ressens un plaisir �mu de percevoir leur affection vraie, non diff�r�e. Je recommence � lire, et � dessiner.

Et j'ai trouver la premi�re phrase de mon roman.

-L