Je porte un gros chandail orange tout confortable, doux et me sussurant des promesses de bien-�tre somnolent. Je n'ai pas de devoirs � proprement parler. De toutes fa�ons, je ne saurais l'effectuer, mon cerveau se sent lourd et liquide, d�sordonn� et d�motiv�. Mon cerveau est en fait plein de sloche. Si on veut. Figure de style. J'imagine.

Et vous voudriez le sempiternel comte rendu de la journ�e? Eh bien. Peu de choses. Moi et M jouons aux regards faufil�s. C'est-�-dire que je le regarde � la d�rob�e, je me ressaisit et regarde ailleurs, puis un genre de pr�monition me fait reporter les yeux sur lui pour voir qu'il me fixe intens�ment, aussi d�porte-t-il ces disques noirs et br�lant, d'une beaut� de bois laqu�e. Et je me remet � le contempler un instant plus tard. Et ainsi de suite. Je serais port�e � dire que c'est un bon signe. Et le fait qu'il s'est approch� si pr�s, si pr�s de moi ce midi. De le sentir si proche, je serrais mes cuisses l'une contre l'autre dans une tentative vou�e � l'�chec d'emp�cher certains organes d'�tre �veill�s et actifs. C'est un peu inconfortable de se sentir mouiller et excit�e en plein milieu de nulle part.

Quant � ma situation sociale... Je vais �tre tr�s franche: je suis �coeur�e de ce petit cirque. Je n'en peu plus de tout faire pour gagner un peu d'attention, r�compense rarement atteinte. Je ne sais pas ce qui fait que je ne suis pas assez int�ressante pour �tre digne de consid�ration... Je ne sais pas pourquoi m�me T m'ignore souverainement quand je suis � c�t� de lui, et pourquoi tout ce que je dis tombe dans le vide, et pourquoi personne ne m'�coute. Mais *je ne suis plus capable*. Je me sens supr�mement insult�e et bless�e de la chose. J'sais pas trop quoi faire. Je ne sais pas attis�e l'int�r�t social envers moi, et je me sens, � mesure que les jours passent, de plus en plus �loign�e d'eux, s�par�e par des cognitivit�es qui se chevauchent sans s'imbriquer, mise � part par les ondes de pens�es diff�rant des fr�quences usuelles. Il me semble que la belle complicit� que j'avais avec T s'est bris�e en miettes. Je n'ai plus rien � lui dire, il se ferme � moi, il s'est choisit des remplacements. Quoi que j'aie l'impression que son malaise sourdre de plus profond�ment que cela. Il cherche quelque chose. Il lui manque quelque chose. Et il cherche ce quelque chose dans tous ces gens qu'ils fr�quentent, il se dit que la r�ponse viendra peut-�tre en s'absorbant dans le fr�lement humain multiple. Pourtant, on voit qu'il est troubl�. Que �a ne correspond pas � ses attentes. Et plus il essaie, plus il est en manque de ce quelque chose d'ind�finissable, de fuyant, qui graduellement deviendra un inconfort chronique, puis une lacune , puis une douleur , puis une souffrance g�n�ralis�e. C'est cette m�me chose que je cherchais � fuir, � �viter, apr�s l'avoir tant cherch�e, en me coupant les jambes, atteignant l� quelques secondes de concentrations absolument, merveilleusement focalis�e sur une seule chose, une seule sensation physique et divinement d�nu�e de toute implication seconde, de tout symbolisme, de toute arri�re-pens�e. Car cette chose me remplissait l'esprit, me brouillait la vue, me flouait l'attention, me coupait les ponts vers l'ext�rieur, m'�moussait les �motions, m'ensevelissait le train de pens�e sous une masse mal d�grossies de pens�es n�gatives, d�faitistes et d�constructive.

Je crois que T est sur le bord d'une d�pression. C'est pourquoi il ressentirait cet esp�ce de d�sir pour quelque chose hors de sa port�e, ce genre de besoin sans visage et sans forme qui manifeste sa pr�sence sans jamais rest�, un peu comme un petit bum qui ferait du hit and run.

Je crois que je vais l'appeller pour lui en parler, m�me si je risque � me confronter � une rebuffade assez blessante. Mais ma conscience m'oblige � le faire...

-L